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Les vers de terre, une menace pour la forêt boréale canadienne ?

Selon une étude récente, les vers de terre des forêts canadiennes pourraient en fait accélérer les changements climatiques.

Novembre 2021

Article de Nathalie Chaperon, conseillère en communication — Équipe des communications scientifiques

Certains enfants adorent jouer avec les vers de terre, alors que de nombreux adultes ne sont pas vraiment intéressés par ces derniers. Les jardiniers les apprécient et les pêcheurs comptent sur eux. Selon une récente étude scientifique, cependant, ces petites créatures que les enfants trouvent si fascinantes pourraient constituer une menace pour la forêt boréale canadienne et compromettre le rôle essentiel de cette dernière dans la lutte contre les changements climatiques.

 
Un ver de terre recroquevillé sur un sol meuble.

Le ver de terre se nourrit de matière organique, libérant ainsi le carbone stocké.

Depuis 300 ans, une petite révolution a lieu sous nos pieds avec la propagation massive du ver de terre moderne.

« La majorité des vers de terre sont disparus de l’Amérique du Nord lors de la dernière glaciation il y a plus de 10 000 ans », explique Jérôme Laganière, Ph. D., chercheur scientifique au Centre de foresterie des Laurentides de Ressources naturelles Canada. « Ils sont réapparus au 18e siècle avec l’établissement des colons européens, probablement transportés dans la terre de plants de tomates. »

Jérôme est l’un des trois auteurs d’une importante étude récemment publiée dans Geoderma, une revue scientifique spécialisée en sciences du sol. Si les travaux de recherche antérieurs portaient principalement sur la place des vers de terre dans la forêt tempérée, cet article approfondit notre connaissance de leurs impacts sur la forêt boréale.

 
Comparaison côte à côte d'un outil inséré dans le sol, l'un dans une zone où il y a des vers de terre, l'autre dans une zone qui n'en a pas.

À gauche, une photo d’un profil de sol sans vers de terre : on remarque une couche organique (humus) bien épaisse et distincte du sol minéral. À droite, un profil de sol envahi par les vers de terre : on remarque une couche organique moins bien définie et mélangée à du sol minéral.

L’étude

Réalisée en 2018 et 2019 en Alberta et au Québec, l’étude visait à comparer l’impact de la prolifération des vers de terre dans deux types de sols. En Alberta, les sols sont plus riches et moins acides. Dans plusieurs régions du Québec, en revanche, les sols ont un pH plus faible et sont donc plus acides et devraient donc être moins hospitaliers pour les vers de terre.

Du moins, il s’agissait là de la théorie. C’est pourquoi les chercheurs ont été surpris de constater que les populations de vers de terre étaient abondantes et actives au point d’élargir leur aire de répartition.

« Notre étude montre que leur aire de répartition s’étend vers le nord, dans la forêt boréale », mentionne Jérôme. « Actuellement, les vers de terre sont présents dans 10 % de la forêt boréale, mais d’ici 2050, ils auront vraisemblablement envahi la majeure partie de la forêt, ce qui aura des conséquences directes sur sa capacité à stocker le carbone. »

Mais comment font-ils ?

Voraces, les vers de terre s’attaquent à la partie organique du sol, appelée « humus », qui se compose de mousse, de feuilles, de débris d’arbres et autres matières organiques. Dans la forêt boréale, l’humus peut facilement atteindre une épaisseur de 10 à 15 centimètres. En mangeant l’humus, les vers de terre détruisent un réservoir de carbone et libèrent ainsi dans l’atmosphère du dioxyde de carbone (CO2) qui contribue aux changements climatiques.

L’activité des vers de terre est également lourde de conséquences à un autre niveau : leurs mouvements répétés dans la partie minérale du sol perturbent les communautés microbienne et végétale naturellement présentes dans le sol. En raison de l’apparition relativement récente des vers de terre européens dans la forêt boréale, on ignore les impacts que leurs perturbations auront à long terme sur ces deux communautés.

Que pouvons-nous faire ?

Une personne montre du doigt un long ver de terre sur un sol compacté.

Conseil aux pêcheurs pratiquant leur sport dans le Nord : ramenez vos appâts non utilisés avec vous.

Il faut limiter la propagation des vers de terre. L’objectif n’est pas de les détruire, mais plutôt de les empêcher de se répandre dans la forêt boréale. On sait que les vers de terre sont utiles ; ils permettent entre autres la libération d’azote et de phosphore, deux minéraux nécessaires aux arbres et aux plantes.

« Les vers de terre sont maintenant présents dans le Nord québécois, près de lacs isolés, apportés vraisemblablement par des pêcheurs », indique Jérôme. « Les pêcheurs laissent habituellement leurs appâts non utilisés sur place. Une fois libérés dans la nature, les vers de terre plongent dans la terre et se dispersent, et il n’existe alors pas de moyen connu pour stopper leur progression. Il faut donc intervenir à la source du problème en demandant aux pêcheurs de rapporter leurs appâts non utilisés. »

Pour le moment, cependant, le défi reste entier : bien qu’ils nous paraissent d’ordinaire inoffensifs, les vers de terre risquent d’accélérer les changements climatiques. Et on anticipe en effet une deuxième vague d’envahissement, cette fois en provenance de l’Asie : des vers de terre plus gros, plus voraces et tellement plus actifs qu’on les surnomme « vers sauteurs ».

L’étude montre toutefois que nous pouvons passer à l’action dès maintenant. En effet, par un simple geste, les pêcheurs canadiens peuvent aider à diminuer la menace qui pèse sur la forêt boréale et ainsi contribuer à la lutte contre les changements climatiques à l’échelle planétaire.

Cette étude a été réalisée par la doctorante Justine Lejoly, sous la direction de la professeure Sylvie Quideau, toutes deux de l’Université de l’Alberta, avec la collaboration du chercheur Jérôme Laganière de Ressources naturelles Canada. L’article complet se trouve dans Geoderma (en anglais seulement).

Pour de plus amples renseignements :

À découvrir :
Pour vous renseigner sur les travaux du Jérôme Laganière dans ResearchGate (en anglais seulement)
More about Jérôme Laganière’s work on ResearchGate (en anglais seulement)
8 faits sur la forêt boréale du Canada
La Journée mondiale des vers de terre
Article de Geoderma : Les vers de terre envahissants affectent les caractéristiques morphologiques du sol (en anglais seulement)

À regarder :
La forêt boréale (vidéo)

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